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Juillet 2023

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💾 Pigiste et intelligence artificielle : l’impact sous-estimé

L’Intelligence artificielle gagne du terrain dans bon nombre de professions et inquiète particulièrement le secteur de l’info. Réunis pour 48 heures à Marseille fin juin, les pigistes français se sentent peu menacés par ChatGPT. A tort ?

Tous indépendants, mais ensemble. Environ 300 journalistes pigistes étaient réunis les 29 et 30 juin à Marseille pour vivre l’événement annuel qui leur est dédié : les 48h de la Pige. L’IA générative a fait son arrivée auprès du grand public fin 2022 avec la sortie de l’outil en ligne ChatGPT capable de générer du contenu informatif en quelques secondes. De quoi créer de nouveaux remous dans une profession déjà soumise à la pression du numérique ? Les pigistes croisés sur place ne semblent pas encore avoir pris la dimension du potentiel de ChatGPT et des autres IA génératives de contenu. Elles pourraient pourtant dégrader encore leurs conditions de travail déjà précaires.

Ce n’est pas faute de s’interroger sur leur métier : jamais en 12 ans, les 48h de la Pige n’avaient été complets aussi rapidement. En une semaine à peine, les places étaient toutes vendues. Entre réseautage et ateliers autour des nouvelles formes de médias, de l’obtention de bourse ou encore du traitement des sujets environnementaux, la star de ces deux jours n’est clairement pas ChatGPT. Dans les moments informels, l’heure est surtout à la défense des droits du statut de pigiste. “Une pige, un salaire” peut-on entendre çà et là, tandis qu’un guide des droits des pigistes est distribué à chacun. Des enjeux d’humains, et même de jeunes humains précaires.

Un métier résilient mais précarisé

Se faire piquer le boulot par des robots ? « Ce n’est pas demain la veille… Les pigistes, ce sont ceux qui vont au front, qui prennent encore le temps d’aller fouiller un sujet » se rassure Sylvie Fagnart, co-présidente des 48h de la Pige. « Ce sont eux qui créent de la valeur, qui vont chercher des sujets très spécifiques. Quand j’ai commencé il y a 20/25 ans, on se remettait tout juste de l’explosion de la bulle internet, et on est toujours là. ».

C’est un fait : l’arrivée de ChatGPT rappelle l’essor de l’Internet et du passage de l’information au numérique. A l’époque, bon nombre de rédactions avaient enclenché le pas avec du retard. “Je me souviens du temps où BFM n’était encore qu’une radio au début des années 2000. Il y avait deux personnes en charge de la mise à jour du site internet. Clairement, la charge de travail était légère !” ironise Sylvie Fagnart. Depuis, le secteur s’est largement adapté, réorganisé.

Le temps de l’expérience

Pour l’heure, il n’est donc pas question d’intégrer l’IA au métier de journaliste, indépendant ou pas. Mais quelques pigistes se laissent tenter par l’expérience. Axelle Playoust-Braure, spécialisée dans la presse bien-être animal, est de celles qui ont testé ChatGPT. Plutôt surprise de la qualité d’écriture, elle est restée sceptique sur le raisonnement. Aussi, se refuse-t-elle de l’utiliser, avant tout par déontologie. « Je ne voudrais surtout pas qu’on puisse se dire qu’il y a des paragraphes entiers issus de ChatGPT dans mes papiers ».

D’autres expériences sont aussi menées par les pigistes, notamment pour optimiser des tâches « chronophages » : recherche documentaire, analyse de rapports ou encore résumé de textes. Bref, pour gagner du temps. Julien Marsault, pigiste à Rennes, utilise Whisper, une IA produite par OpenAI : « avec ce logiciel, tu prends ton fichier audio, tu le mets dedans et tu as toute ta retranscription minute par minute. Je gagne des heures par semaine grâce à ça ! »

Ces expériences sont rendues possibles par le fonctionnement même de ChatGPT : une IA dite « générative ». « Elle est capable de générer des textes à partir de quelques indications fournies à la machine sous forme de texte, appelées nos “prompts” » explique Yann Ferguson, sociologue à l’ICAM et responsable scientifique du laboratoire de recherche LaborIA. « Longtemps, il y a eu une croyance que seul l’Homme était capable de créer. Avec ChatGPT, on découvre que la machine peut créer aussi. ».

La capacité de ChatGPT se trouve renforcée par les expériences quotidiennes de chaque utilisateur. Pour le spécialiste de l’IA, il s’agit d’une sorte d’expérience menée à grande échelle par OpenAI, l’entreprise conceptrice de la plateforme : « Nos prompts, c’est leur mine d’or. Ils vont ensuite pouvoir passer à l’échelle supérieure avec toutes les données accumulées ».

A terme, cela pourrait ouvrir l’accès au métier de journaliste à des personnes ne sachant pas écrire correctement « En termes de ratio optimisation coût / délai de production et qualité perçue, certaines rédactions pourraient se contenter de “pigistes ChatGPT” ». Face à ce danger, Yann Ferguson conseil de prendre en main les choses, y aller. « Il faut réinventer sa pratique du journalisme à l’aune de ce que peuvent apporter ces outils. La première des choses à faire est de tester puis se former pour enfin intégrer pleinement l’IA à son métier en définissant et inventant sa propre pratique plutôt que d’attendre. »

Le temps du déni

Malgré le danger, une forme de déni semble s’être installée parmi les jeunes journalistes français. « Un phénomène classique lorsque la machine menace les humains, détaille Yann Ferguson, c’est ce que le mathématicien Alan Turing a appelé “l’objection de l’autruche” » : si on venait à constater que la machine peut mieux écrire que nous, on estimerait qu’elle pourrait remplacer le journaliste.

« Peut-être que je ne veux pas voir le truc. » reconnait Kathleen Junion, pigiste spécialiste des sujets culinaires et membre du conseil d’administration du Club de la Presse de Bretagne. « Je fais des portraits de chefs dans les restaurants, il y a des senteurs, des goûts, des ambiances de cuisine, je ne vois pas comment je pourrais être impactée. »

Le temps de l’inquiétude

Son collègue du Club de la Presse, Julien Marsault, est plus inquiet. Il y voit une potentielle réorganisation du métier. « Les plus précaires vont être les premiers à pâtir de l’IA. Certaines sources de revenus pourraient bien ne plus exister car des médias verront en l’IA un moyen de “tailler dans le gras” ». A titre d’exemple, il cite les photo-journalistes qui pourraient bien voir une partie de leurs revenus supprimés si la commande de photo passe par une IA capable de générer des images répondant globalement au besoin.

« Cela pourrait impacter aussi le métier de secrétaire de rédaction » s’inquiète Axelle Playoust-Braure, la pigiste spécialiste en bien-être animal « transformer des phrases plus longues en plus courtes, générer des accroches, générer des titres ou des intertitres… J’ai l’impression que ce sont les capacités de ce genre d’outils et qu’à terme cela pourrait totalement éliminer les humains. »

Ces inquiétudes sont légitimes car tout va très vite. Google a lancé son prototype d’IA générative, Bard, en mars dernier dans 180 pays (mais pas dans les pays de l’UE). Ce même mois, OpenAI avait lancé la version 4 de ChatGPT (disponible sur abonnement), 60% moins susceptible d'inventer des faits. Et pour rappel : ChatGPT a été adopté par 100 Millions d’utilisateurs en deux mois, une vitesse record par rapport à toute autre innovation. En avril dernier, la plateforme a atteint près de deux milliards de visites sur un mois.

La fin d’une fuite en avant

Dans le même temps, la confiance des Français envers la presse s’érode. Un lecteur sur deux déclare ressentir de la fatigue ou de la lassitude par rapport à l’information d’après le dernier « Baromètre de confiance dans les médias » réalisé par Kantar pour La Croix. Plus de 60% des contenus web seraient des copié-collé selon l’étude menée en 2017 par Julia Cagé, économiste, spécialiste de l'économie des médias. Ces chiffres devraient déjà venir interroger la pratique journalistique.

Cette course au contenu est une véritable fuite en avant entamée depuis l’ère internet, pour servir des algorithmes obèses, boulimiques de textes et d’images. Cette fuite en avant ne fait que répondre aux exigences toujours plus asservissantes des réseaux sociaux et des moteurs de recherches et aux algorithmes des IA génératives déjà très gourmandes.

L’adoption de l’IA générative devrait faire l’objet de débats collectifs dans la profession pour être utilisée à bon escient. Elle pourrait ainsi devenir une aide dans le travail des pigistes, libérer les journalistes des tâches chronophages. Une nouvelle ère pourrait voir le jour.

Face à la surproductivité, cette nouvelle (r)évolution pourrait être un moyen de décélérer pour redonner toute sa place à l’enquête. « Le sel du métier de journaliste ce n’est pas produire du contenu », veut croire Sylvie Fagnart « mais aller sourcer l’information, rencontrer des gens sur le terrain, bref d’informer ».

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